L’esprit des lieux et la valeur patrimoniale
La valeur patrimoniale du Grand Site de France du Cirque de Navacelles
A l’extrémité méridionale des Grands Causses, entre Cévennes et massif de la Séranne, à cheval sur les départements du Gard et de l’Hérault, le Cirque de Navacelles se découvre subitement au creux des vastes steppes caussenardes. Coeur classé du Grand Site de France, le site classé constitue un phénomène hydro géologique et paysager unique en Europe.
Au premier abord, le Cirque de Navacelles est un site géologique grandiose. Mais de surcroît, il est le fruit d’une alchimie harmonieuse entre l’homme et la nature. Au fond d’un cirque de deux kilomètres de diamètre et 300 mètres de profondeur, fermé par des défilés à l’amont et à l’aval, la Vis, rivière alimentée par la formidable résurgence de la Foux, a creusé un grand méandre, abandonné naturellement il y a 6000 ans, dessinant ainsi un croissant de prairie fertile au centre duquel pointe le «Rocher de la Vierge». Autour, sont groupées les maisons du hameau de Navacelles. Cette palette verte qu’on découvre soudainement depuis les rebords du cirque, contraste puissamment avec les garrigues des pentes abruptes du cirque et les étendues steppiques des plateaux caussenards. Dès le Moyen Age, les hommes ont mis en culture ces terres, aménagé des terrasses encore visibles par endroits et exploité l’abondante ressource hydraulique aux moulins de la Foux, aujourd’hui restaurés. Les délicats aménagements (murets appelés faïsses, prairie entretenue, champs en lanières appelés Bayrades) et les habitations regroupées en trois îlots lovés sur les bords du méandre et le long de la Vis, ajoutent au caractère spectaculaire la dimension humaine qui souligne les lignes de force du paysage. Le Cirque de Navacelles et ses abords offrent ainsi depuis les belvédères de la Baume Auriol et de Blandas aux 250 000 visiteurs annuels des vues très impressionnantes.
Le Cirque de Navacelles est lui-même enserré dans l’ensemble des gorges de la Vis qui se parcourent à pied sur 17 kilomètres depuis Vissec, zone de la Vis à sec en oued, jusqu’à Madières par le fond d’un imposant canyon surplombé de falaises calcaires, grottes et abris sous roche. Les versants en sont colonisés par une végétation méditerranéenne de garrigue à chêne vert, buis, genévriers et amélanchiers, tachetée de reboisements de pin noir et cèdre. Le long de la Vis, peupliers, saules et aulnes installent des ambiances plus rafraîchissantes. Ces espaces constituent des zones d’habitats privilégiés pour des espèces rares et protégées : les prairies en bordure de la Vis pour l’orchidée rare et protégée Orchis Fragrans ; les falaises où niche par exemple l’aigle royal ; la rivière où est présente la loutre d’Europe… Le Cirque de Navacelles et les gorges de la Vis constituent un ensemble patrimonial et paysager très remarquable à l’échelle nationale ce qui lui a valu d’être classé au titre de la loi de 1930 sur les sites.
Mais le saisissement que suscite la plongée sur les paysages du Cirque de Navacelles et les gorges de la Vis tient autant à leuraspect grandiose qu’à la traversée des immensités des causses qui précède cette découverte aussi bien du côté du Gard que de l’Hérault. Sur des routes jalonnées de haies taillées de buis, « les buissières » de longues lignes droites offrent des perspectives dignes de l’Altiplano sud américain, soulignées au loin par les reliefs des Cévennes. Menhirs, cromlech et dolmens, visibles souvent de loin, et les nombreux grottes et abris sous roche, y témoignent de l’occupation humaine au chalcolithique (-3000 av J.C.). L’activité agro-pastorale y a perpétué jusqu’aujourd’hui de vastes paysages de parcours longtemps sans clôture, quadrillées par les drailles et enclos en pierre sèche, ponctués de cultures en dolines, de lavognes et de massives fermes
caussenardes.
Ainsi, les paysages caussenards du Grand Site de France du Cirque de Navacelles assurent une continuité patrimoniale entre le Coeur classé, le Cirque lui-même et ses abords, et le Bien Causses & Cévennes inscrit au Patrimoine Mondial de l’Humanité en 2011 pour ses paysages culturels vivants de l’agropastoralisme méditerranéen.
L’esprit des lieux
Il y a d’abord, ce spectacle à couper le souffle, depuis le rebord du cirque, littéralement époustouflant, après cette approche empreinte de mystère, due à l’immensité du Causse qui ne laisse aucunement imaginer ce plongeon du regard 300 mètres plus bas. Le contraste, créé entre l’approche des plateaux aux grands horizons arides et la verticalité abrupte qui enserre la fraîcheur
du hameau est pour tous saisissant.
Puis la pierre. La pierre, omniprésente sous toutes ses formes qui transmet à la fois l’âpreté et la structure du paysage : la pierre des sols à nu, des falaises et des grottes, la pierre des mégalithes, des clapas des drailles et parcours, des lavognes et cazeilles, des toits aux grandes lauzes calcaires ; le minéral, partout et sous toutes ses formes qui imprègne l’âpreté des lieux où l’histoire s’accroche depuis la nuit des temps. Chaleur des pierres qui monte des abymes, pierres qui vibrent sous la lumière d’été. Pierres aux odeurs de terre brune, décuplées dans les brumes automnales, amplifiées par les buis et les cades…
Mais aussi le contraste. Au printemps, c’est un festival de couleurs avec l’adonis jaune vif et l’anémone mauve teinté de rouge avant que le soleil de l’été ne brule les pelouses laissant onduler au vent les Stippa penata argentées. Alors le soleil et le vent font chanter le paysage. Contraste encore entre l’aridité du plateau qui recèle pourtant d’immenses réserves d’eau qui surgissent comme aux moulins de la Foux à Vissec. Paradoxe même entre ces sols maigres et pourtant, pendant des siècles, la réputation des causses de grenier à blé, les causses nourriciers du mouton dont on dit que « plus le terrain est sec, plus la brebis est grasse ». Territoire à la fois avare et généreux car la vie est partout et ce sont des milliers de moutons qui fondent l’économie locale et qui structurent et entretiennent cette mosaïque de paysages.
Puis, vient ce sentiment d’immensité et de respect. Pour certains visiteurs, l’immensité peut engendrer une perte concrète et mentale de repères, voire de l’angoisse. Mais pour la majorité, cette immensité, apporte l’évasion et la liberté, un ressourcement et une certaine humilité devant tant d’intelligence du lieu, héritage du travail des hommes qui ont su s’adapter à ce milieu hostile et transmettre leur ingéniosité liée à l’élevage, aux parcours, à l’habitat, à l’économie de l’eau, savoir-faire multiples encore ancrés dans la société d’aujourd’hui. Cette harmonie avec les lieux, l’homme et la nature, procure une fraicheur intérieure, une sérénité et presque une nostalgie tant ces lieux à l’écart des trépidations modernes sont fragiles.
Le puissant attachement collectif des habitants pour le territoire du Grand Site de France appelle de la part de tous une attention constante pour en préserver les valeurs et les maintenir vivants.